France: Arme de diversion massive

Cet été, le soi-disant « débat » sur « l’islam, la laïcité et le terrorisme » a sombré dans des profondeurs abyssales. Et de même que les grands fonds océaniques, privés de toute lumière, sont peuplés de créatures effrayantes, de même le « débat » en question a produit des arguments et des situations qui font froid dans le dos, telle la scène choquante, humiliante, des policiers de Cannes obligeant une femme à se dévêtir, sur la plage.

Révolution: Edito du n°12

Impuissance et cynisme

La stigmatisation systématique des musulmans n’est pas près de s’arrêter. A cela deux raisons. Premièrement, le gouvernement est incapable de faire cesser les attentats. L’état d’urgence et autres dispositifs liberticides sont inutiles, dans ce domaine. Dès lors, il ne reste au gouvernement et aux politiciens de droite que la surenchère. Ils vont toujours plus loin dans l’amalgame, l’insinuation, le soupçon jeté sur la population de confession musulmane. Du point de vue de la lutte contre le terrorisme, c’est évidemment contre-productif, car cette intensification de la propagande islamophobe risque de susciter de nouvelles vocations djihadistes. Mais cela ne pèse pas lourd face au cynisme des politiciens réactionnaires.

Deuxièmement, la stigmatisation des musulmans est, plus que jamais, l’arme de diversion massive dont se servent les mêmes politiciens dans un contexte économique et social catastrophique. Ce n’est pas nouveau. En 1905, déjà, Lénine écrivait : « La bourgeoisie réactionnaire a partout eu soin d’attiser les haines religieuses (…) pour attirer de ce côté l’attention des masses et les détourner des problèmes économiques et politiques réellement fondamentaux. »

Pendant que la presse, la télévision et la radio étaient saturées de « débats » sur l’islam, le FMI révisait à la baisse (1,25 %) la croissance de l’économie française pour 2016. La production industrielle a reculé de 0,8 % en juin, après une baisse de 0,5 % en mai. Elle a chuté de 14 % depuis 2008. Entre 2001 et 2016, 982 000 emplois industriels ont été détruits. Le chômage ne « recule » légèrement, ces six derniers mois, qu’à la faveur d’un trucage des statistiques et d’un nombre record de radiations administratives de Pôle Emploi. La santé, le logement et les transports publics sont en détresse. L’acharnement judiciaire contre les syndicalistes se poursuit. La régression sociale bat son plein dans toutes les sphères de la vie économique et sociale. C’est une conséquence inéluctable de la crise du capitalisme, dont personne n’entrevoit la fin.

Pendant ce temps, les entreprises françaises sont encore plus généreuses que l’an dernier avec leurs actionnaires. Les dividendes versés ont en effet bondi de 12,4 %, pour un total de 35,3 milliards d’euros, soit près de trois fois le montant du déficit de la Sécurité sociale en 2015 (12,8 milliards). Cela place la France en deuxième position dans ce domaine en Europe, juste derrière les Pays-Bas. Voilà une médaille d’argent dont les médias n’ont pas beaucoup parlé, cet été.

Diversion électorale

La diversion opère aussi dans les programmes électoraux, avec l’élection présidentielle de 2017 en ligne de mire. Tous les candidats à la primaire des Républicains défendent peu ou prou le même programme économique. Il s’agit de faire pire encore que le gouvernement « socialiste » – ou, du point de vue du Medef, encore « mieux ». Entre 2014 et 2017, Hollande et Valls auront versé 41 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses du grand patronat. Alors, la droite s’engage à doubler la mise. Et pour financer tout cela, elle annonce des coupes dantesques dans les dépenses publiques.

Mais puisque tous ces candidats – et l’aile droite du PS – promettent la même politique économique, et puisque celle-ci n’a rien de réjouissant pour la masse de la population, ils vont se concurrencer sur d’autres thèmes : « l’identité nationale », les « valeurs de la France », l’islam, la laïcité, le terrorisme, la sécurité et ainsi de suite.

Identité de classe

Le mouvement ouvrier doit répondre vigoureusement à toute propagande raciste et nationaliste. Nous devons dénoncer les manœuvres de diversion, et notamment rappeler le rôle criminel de l’impérialisme français au Moyen-Orient, qui est la cause la plus fondamentale du terrorisme. Il nous faut exiger la fin de l’état d’urgence, qui n’a pas d’autre objectif que de limiter nos droits démocratiques.

Il est aussi nécessaire de tirer les leçons du mouvement contre la loi Travail. L’une de ces leçons est claire : le meilleur moyen de faire échec aux manœuvres de division et de diversion, c’est la lutte des classes elle-même. Dans les manifestations de masse, les grèves, les actions de blocage, les facs et les lycées en lutte, il y avait une solide unité des jeunes et des travailleurs de toutes les confessions et de toutes les origines. Ils étaient soudés par leur « identité » de classe, celle qui doit primer dans le combat contre l’exploitation capitaliste.

Crise de régime

Le mouvement contre la loi Travail est un avertissement sérieux lancé à la classe dirigeante. Les salariés de notre pays ne vont pas rester passifs face à la remise en cause de toutes leurs conquêtes sociales. De nouvelles explosions de la lutte des classes sont inévitables, tôt ou tard.

Dans l’immédiat, la campagne pour la présidentielle de 2017 va monter en puissance. Elle illustre déjà la crise de régime du capitalisme français. Le spectacle offert par les Républicains et la direction du PS – ces deux piliers de l’ordre établi – fait souvent penser à un cirque, avec ses différentes variétés de clowns.

Qu’on y songe : François Hollande, le chef de l’Etat le plus impopulaire de l’histoire de la Ve République, « se prépare », nous dit-on, à être candidat. Cela reste à voir, car il n’aura peut-être pas envie d’aller à une débâcle certaine. Pendant ce temps, le deuxième président le plus impopulaire de la Ve République, Nicolas Sarkozy, revient en pleine lumière, barbouillé d’un nouveau maquillage et jurant qu’il fera mieux que la fois précédente. Qui le concurrence, chez les Républicains ? Alain Juppé, le clown triste, qui a passé les quarante dernières années de sa vie au service du grand Capital – et qui, en 1995, a provoqué la plus grande grève de la fonction publique depuis mai 68.

Autrement dit, la bourgeoisie française manque de personnel politique pouvant revendiquer une popularité un tant soit peu solide. Dans ce grand vide, fatalement, la folie des grandeurs a frappé le dernier venu de la troupe, Emmanuel Macron.

Tous ces candidats déclarés ou potentiels – auxquels il faut ajouter Marine Le Pen, bien sûr – se proposent de poursuivre et d’intensifier la politique propatronale qui a été mise en œuvre, ces dernières décennies, par les gouvernements successifs. Mais c’est précisément du rejet massif de cette politique – et des partis qui l’ont imposée – que vient la crise de régime actuelle.

Pour 2017, la jeunesse et le mouvement ouvrier ont besoin d’une perspective et d’un programme de rupture nette avec l’austérité. A cet égard, l’énorme enthousiasme que suscite Jérémy Corbyn, en Grande-Bretagne, est une source importante d’inspiration. Elle souligne, une fois de plus, que lorsque les jeunes et les travailleurs trouvent un véhicule politique adéquat pour exprimer leur colère et leur frustration accumulées, la cristallisation politique de gauche est rapide et massive. En France, pour que le mouvement de Mélenchon émerge comme une alternative de gauche crédible, il devra être à l’unisson de la radicalité des masses. Dans cette campagne de la « France insoumise », Révolution prendra sa place et défendra la nécessité de pousser la lutte contre l’austérité jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au renversement du système capitaliste lui-même.