Portugal : la « reprise » est bâtie sur du sable

Il y a sept ans, l’économie portugaise était au bord du gouffre. Le pays semblait se diriger vers une situation « à la grecque ». Or en 2017, la croissance a atteint 2,7 %, le taux de chômage officiel est tombé à 6,7 % (contre 17 % en 2013) et le salaire minimum a augmenté de 20 % par rapport à 2014. En outre, le déficit public est tombé à 2 % : une première en 40 ans.

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Ce rebond économique est vanté à la fois par les politiciens libéraux et par les réformistes de gauche. Tous y voient un modèle de « sortie de crise ». Pour les libéraux, ce serait le fruit des politiques d’austérités exigées par la « troïka » (UE, BCE et FMI). Mais le gouvernement portugais, lui, affirme qu’il n’a pas mené de politique d’austérité. Qui faut-il croire ? Ni les uns, ni l’autre. Les véritables causes du « miracle portugais » sont ailleurs.

Fragilité

Le « rebond » est lié, pour partie, à la reprise de l’économie européenne elle-même. Mais comme cette reprise est faible et fragile, un retournement de la conjoncture européenne frappera l’économie portugaise. Par ailleurs, celle-ci a surtout profité d’une croissance de l’afflux de touristes. En 2017, le tourisme constituait 18,5 % du PIB – et 20 % en 2018. C’est désormais le premier secteur d’emploi : plus d’un travailleur sur cinq. Le tourisme est clairement un élément décisif de la croissance portugaise. Mais c’est aussi un élément très instable et aléatoire.

Au passage, le développement de ce secteur s’est accompagné d’une libéralisation du marché immobilier et d’une explosion des emplois archi-précaires (souvent saisonniers). En 2008, 10 % des jeunes travailleurs avaient un emploi à temps partiel, contre 22 % en 2015. Sur la même période, le nombre de travailleurs en CDD – tous âges confondus – est passé de 22 % à 67,5 % ! Le gouvernement Costa n’a rien changé à cette situation.

Enfin, la dette publique est toujours très élevée : 126 % du PIB. Le Portugal vit donc sous la menace permanente d’une nouvelle crise de ses finances publiques, c’est-à-dire d’une flambée des taux d’intérêts des emprunts d’Etat.

L’austérité n’a pas disparu

Sur l’essentiel, la politique économique du gouvernement Costa a prolongé celle du précédent gouvernement (de droite). Il n’est pas revenu sur la plupart des « mesures d’urgence » (et d’austérité) qui ont été imposées au plus fort de la crise et qui ont durement frappé des millions de Portugais.

Il est vrai que Costa a refusé de mettre en œuvre certaines mesures exigées par la « troïka », comme la réduction des congés payés ou la baisse des salaires des fonctionnaires. Après la crise grecque de 2015, la troïka voulait éviter une révolte massive des travailleurs portugais contre les politiques d’austérité. Elle a donc laissé une certaine marge de manœuvre à Costa.

Cependant, la hausse du salaire minimum ne permet pas, dans les grandes villes, de suivre le rythme du renchérissement des loyers. Et elle ne règle pas le problème de l’emploi précaire, dont l’explosion masque un chômage chronique. 20 % des jeunes sont au chômage.

Un nombre croissant de Portugais ont accès à une mutuelle privée. Mais se soigner coûte plus cher. Par exemple, le « reste à charge » d’une simple consultation médicale est passé de 2,25 à 5 euros (aux urgences, le tarif est même passé de 9,6 à 20 euros).

Les coupes dans l’Education Nationale sont systématiques, depuis une décennie, y compris sous le gouvernement « socialiste ». D’un côté, ces coupes poussent de très nombreux étudiants portugais à quitter le pays ; de l’autre, cette émigration permet au gouvernement de justifier... de nouvelles coupes.

Et pendant ce temps, la taxation des entreprises est de 21 % : le taux le plus bas en Europe.

Une gauche « radicale » et... conciliante

Au Parlement, le gouvernement Costa dépend entièrement du soutien des deux forces de la « gauche radicale » portugaise : le Bloc de Gauche (Bloco) et le Parti Communiste, lequel est très implanté dans la classe ouvrière et les syndicats. Or, au lieu de profiter de cette situation pour exercer la plus grande pression possible sur le gouvernement – en faveur de véritables réformes sociales –, les dirigeants de ces deux formations votent tous les budgets et se montrent très conciliants avec la politique pro-capitaliste de Costa. Ils justifient cette attitude par un seul argument : « on ne doit pas faire chuter un gouvernement de gauche. »

Cet argument semble « raisonnable », mais en fait il revient à substituer des manœuvres parlementaires à la lutte des classes, dans les rues et les entreprises. Si le PC et le Bloco mobilisaient les jeunes et les travailleurs sur la base d’un programme radical, ils en sortiraient énormément renforcés. Cela ouvrirait la voie à une véritable alternative de gauche lors des élections législatives de l’année prochaine.